Rhum de Polynésie Française, aller au fond de la bouteille
Pourquoi un rhum de Polynésie Française développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.
Comme une envie d’évasion ? D’atolls d’un bleu turquoise et de plages de sable blanc ?
Oui, comme tout le monde, me direz-vous. Mais c’est compliqué, cela demande du temps et pas mal d’argent…
C’est avec des images d’îles paradisiaques en tête que vous passez le pas de porte de votre boutique favorite. Le lieu et la présence d’innombrables bouteilles vous remonte un peu le moral mais votre caviste se rend compte que vous avez l’air moins enthousiaste qu’à l’accoutumée.
Vous lui expliquer ce qui vous tracasse et, à votre grande surprise, il vous dit avoir une solution.
Curieux, vous le suivez dans l’un des nombreux recoins de la boutique où sont alignées des bouteilles de rhum blanc.
Les étiquettes arborent des noms que vous ne connaissez pas mais qui sonnent exotiques.
« Si vous ne pouvez pas aller vous prélasser dans un lagon, voilà une manière de l’amener à vous ! »
Ces quelques mots vous redonnent le sourire, et vous voilà allégé de quelques euros mais riche d’une bouteille de plus, que votre fournisseur de distillats de canne vous décrit comme une véritable eau-de-vie de dégustation.
Ni une, ni deux, mains lavées, chaussures retirées, verre sur la table et bouteille dégoupillée, vous êtes prêt.
Les effluves dévoilent une canne chaleureuse, gourmande et végétale. Généreuse, elle est accompagnée d’agrumes, de fleurs blanches, d’anis, de poivre et parfois d’une pointe truffée.
Pas de doute sur la matière première employée, même si ce profil change de vos repères en termes de rhums blancs agricoles, souvent plus puissants et mordants.
C’est bien un rhum pur jus de canne. Issu d’une distillerie très récente – qui donne la part belle à l’agriculture et à la production durable – c’est sur la légèreté et la finesse qu’il développe son identité.
Les variétés de canne à sucre sélectionnées, le sont pour la qualité gustative plutôt que leur productivité. Le désherbage se fait à la main et aucun pesticide, ni engrais chimique n’est utilisé.
En revanche, il n’est pas évident, à la dégustation, de deviner l’alambic utilisé. Et pour cause, puisqu’il s’agit d’un assemblage de jus distillés sur colonne et sur pot still.
Il donne carrément envie d’y plonger (comme dans une mer à 25°C).
La texture est grasse et l’alcool donne ce qu’il faut de peps en bouche.
Le doute n’est pas permis, vous êtes certain que votre verre contient un rhum pur jus de canne. Son intensité, son corps et sa nature pleine vous intriguent et vous donnent envie d’y revenir.
Bien évidemment, vous êtes dans le vrai, votre nouvelle acquisition est bien un distillat de jus de canne fermenté.
Les rhums de Polynésie Française (parfois désignés comme rhums de Tahiti, même si ce n’est pas la seule île de l’archipel où l’on produit du rhum) sont connus pour leur utilisation de vesou, bien qu’il existe également une production à base de mélasse, que l’on ne trouve pas en métropole.
La complexité, la concentration et la finesse du liquide dans votre verre trouvent leur origine dans les étapes d’élaboration.
Tout d’abord, il faut savoir que certaines variétés de canne à sucre ne sont présentes qu’en Polynésie ; c’est le cas de la canne O’Tahiti. Cette dernière a pu être réintroduite, alors qu’elle n’était plus cultivée et ne faisait qu’agrémenter des jardins de particuliers. Endémique et non hybridée, elle possède une aromatique particulière.
De plus, la culture de la canne dans l’archipel est tout sauf intensive et l’on peut trouver des terres exemptes de polluants sur la plupart des îles. Certains rhums polynésiens arborent d’ailleurs la mention bio.
La récolte se fait manuellement et les cannes sont pressées le jour même et – la plupart du temps – sans imbibition (adjonction d’eau pour extraire le plus de jus, ce qui va légèrement diluer ce dernier).
Le temps de fermentation (qui peut durer quelques jours), ainsi que les levures (bio ou non), peuvent varier d’une distillerie à l’autre.
Fait assez unique, plusieurs marques font voyager le moût fermenté d’une île à l’autre en goélette, afin de faire le lien entre plantations de canne et appareil à distiller.
Ces derniers, comme vous pouvez vous en douter, sont loin d’être des mastodontes de productivité, dans le style multi-colonnes cracheuses de distillats chargés en alcool mais pauvres en goût. Alambic hybride Holstein, alambic à repasse ou encore petite colonne chauffée à la flamme nue, voilà ce qui constitue la flotte des alambics polynésiens.
Ces variations dans les méthodes de production (variété de canne, fermentation, distillation) expliquent les différences que l’on peut trouver d’une distillerie à l’autre mais mettent également en lumière les raisons pour lesquelles les rhums de ces îles possèdent tous des profils intenses et vibrants, où la canne occupe le premier rôle.
Plusieurs références de rhums blancs s’apprécieront mieux pur qu’en cocktail (même quand il s’agit de ma boisson préférée : le ti-punch). Certaines sont des eaux-de-vie de canne de dégustation à part entière.
Il faut noter qu’une indication géographique est en cours d’élaboration et, alors qu’on ne connait pas encore tous les éléments du cahier des charges, on sait que la matière première devra être du jus de canne.
On dénombre à l’heure actuelle quatre distilleries en Polynésie. La plus ancienne à travailler le jus de canne a été fondée en 1992 et la plus récente en 2015.
Cette « jeune » industrie artisanale montre déjà un haut niveau qualitatif et on ne peut que s’enthousiasmer de ce que l’avenir leur réserve et nous promet.
Nous avons déjà vu apparaitre des rhums monovariétaux, des rhums bio mais aussi des vieillissements.
Toutes les distilleries possèdent des fûts (on trouve des ex-fûts de whiskey américain, des ex-fûts de vins français ou encore de vin de Madère) et élèvent une petite portion de leur production.
Les volumes de distillation étant réduits, ces rhums vieux se font encore plus rares que leurs cousins non-vieillis.
De surcroit, qui dit élaboration artisanale et grande distance, dit tarifs élevés mais soyez assurés qu’ils valent leur prix.
Vous voilà en possession des éléments nécessaires à la compréhension des rhums de Polynésie.
Votre caviste n’avait pas tout à fait tort, faute de vous y rendre, la dégustation de ce distillat de canne vous aura fait vous évader. C’est ça aussi le rhum : un voyage.
Certes, on n’en revient pas bronzé…