Rhum de l’Île Maurice, aller au fond de la bouteille
Pourquoi un rhum de l’Île Maurice développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.
Et si vous alliez faire un tour chez votre caviste spécialisé ? Non, je sais, vous n’avez pas besoin d’encouragements pour lui rendre visite et faire de nouvelles découvertes.
Justement, aujourd’hui, après vous être frotté aux rhums de l’Île de la Réunion, vous souhaitez en apprendre plus sur les eaux-de-vie de canne produites sur l’île voisine : l’Île Maurice.
Vous êtes loin d’avoir une idée précise sur ces rhums (ce qui, on va le voir, est bien normal), aussi vous tournez vous vers votre pourvoyeur de liquides de qualité.
Il évoque la grande variété des rhums produits sur ce petit bout de terre perdu dans l’Océan Indien, ainsi que la jeunesse de cette industrie.
Vous le voyez venir, vous allez encore devoir acquérir (au moins) deux flacons afin d’y voir plus clair. Vous aviez vu juste, puisqu’il vous oriente vers une bouteille de rhum blanc et une autre de rhum vieux.
Quand vous lui demandez s’il y a un ordre de dégustation à respecter, vous êtes surpris d’entendre sa réponse : « Peu importe ». Ah ben comme ça, vous voilà bien avancé.
De retour dans votre antre à dégustation – et après vous être lavé les mains, car c’est important – vous saisissez deux verres à prévus à cet effet (aussi appelé verre tulipe), dans lesquels vous versez quelques centilitres de chaque rhum.
Vous décidez, presque par habitude, d’entamer cette session par le rhum blanc et c’est une claque (ou une caresse) de canne qui vous souhaite la bienvenue.
Pour vous, voilà une surprise. Sans vraiment expliquer pourquoi, vous imaginiez faire face à un rhum de mélasse, mais ici, le doute n’est pas permis.
En y plongeant le nez, vous retrouvez certains repères aromatiques que vous avez croisé à plusieurs reprises sur des rhums issus de la fermentation du vesou (petit nom donné au jus de canne frais). Les fruits sont très présents (dont un zeste de citron vert), accompagnés de touches plus herbacées et d’une pincée d’épices. C’est cependant, et avant tout, une canne mûre et grasse qui domine.
Ce rhum « agricole », qui ne peut en porter le nom (puisqu’il ne rentre pas dans la définition européenne du terme, que vous pouvez retrouver dans cet article) se trouve très à votre goût. Il ne vous semble pas très différent des rhums de Guadeloupe ou de Martinique distillés sur colonne suite à une fermentation relativement courte, bien qu’il offre une intensité qui se remarque.
Cette facette très expressive, qui ne vous a pas échappé, vient de l’appareil à distillation employé, en effet c’est un pot still (alambic à repasse) qui est ici utilisé. Ce qui est d’autant plus notable, c’est l’absence de notes métalliques qui peuvent parfois marquer ce genre de distillat, ce n’est pas pour vous déplaire.
Jusqu’en 2001, il était légalement interdit aux producteurs de rhum d’utiliser le jus de canne comme matière première. De plus, le rhum de coulage (à la sortie de l’alambic) devait être supérieur à 93 %.
Autant vous dire que Maurice est très jeune en matière de rhums purs jus de canne. Certaines distilleries de l’île en font leur spécialité (trois sur les six que compte le territoire, oui, il y a quand même six distillerie sur l’île).
Le second verre vous attend sagement et il est temps de vous y consacrer, en vous demandant si vous n’auriez pas dû commencer par celui-ci. Il se présente également sur un profil intense et – logiquement – très différent.
Les fruits sont aux avant-postes, exotiques ou à chair jaune, juteux et gourmands. Viennent ensuite les épices, très présentes, parmi lesquelles le poivre, la girofle et la vanille.
Inédit pour vous narines, il vous plait et vous pensez rhum de sucrerie (et donc élaboré à base de mélasse) mais vous ne pouvez en dire plus.
En effet, il s’agit d’un rhum industriel (utilisant le résidu de l’industrie sucrière) et celui-ci, à votre grande surprise, est distillé à haut degré, puisque nous sommes au-delà des 90 %, sans pour autant atteindre la seuil critique des 96 %, au-dessus duquel les arômes tendent à disparaître (coucou la vodka).
S’il est pourtant si riche c’est qu’un travail a été effectué sur les levures utilisées mais surtout que l’étape de vieillissement est cruciale.
C’est dans le chai que la magie opère, grâce à l’emploi de fûts de chêne français neufs et ex-cognac.
Vous vous rappelez peut-être qu’un similaire travail est mis en place dans les principales distilleries de La Réunion. Proche des méthodes du cognaçais, le distillat passe quelques mois en barrique neuve, avant d’être transféré dans des fûts roux (déjà utilisés plusieurs fois, elles apporteront peu de tannins et favoriseront l’oxygénation du liquide).
L’association d’un distillat léger (mais loin d’être insipide) à un gros travail d’élevage et d’assemblage permet de façonner les rhums en fonction du résultat escompté.
Cela vous donne clairement envie d’explorer cet univers.
En tout cas, vous comprenez maintenant que quel qu’ait été votre ordre de dégustation, vous ne pouviez pas vous tromper, ces rhums possédant tous deux une identité suffisamment marquée.
Mais ce n’est pas tout, puisque toutes les combinaisons sont possibles : rhum blanc de mélasse, rhum vieux pur jus (en distillation continue ou discontinue), emploi d’essences de bois variées… et pourquoi pas des rhums épicés ou arrangés ?
C’est là que réside la richesse de cette origine : une très grande variété et une expansion rapide de la production rhumière, souvent encadrée par des experts du secteur ayant de la bouteille (de rhum, bien sûr).
Vous voyez où je vais en venir : il va vous falloir du temps et de multiples dégustations pour appréhender tout ce que les rhums de l’Île Maurice ont à offrir. Heureusement, vous êtes prêts à vous atteler à la tache ! Je salue votre abnégation.