Rhum de Bélize, aller au fond de la bouteille
Pourquoi un rhum de Bélize développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.
Certes, grâce à votre boutique spécialisée, à vos dégustations et à vos lectures, vous avez une idée assez précise de ce que les rhums d’Amérique Centrale ont à offrir. Bien sûr, il existe des différences entre les rhums produits du Costa Rica et au Guatemala mais ils partagent également bon nombre de points communs.
Du coup, lors d’une de vos visites de courtoisie dans votre caviste, son discours sur une origine qui se démarque des autres pays de la région, vous a laissé dubitatif.
Non seulement, il vous a expliqué le lien de parenté avec des rhums de tradition anglaise mais a aussi évoqué une petite production de rhum pur jus de canne. Non, vous ne vous y attendiez pas.Vous restez comme deux ronds de flan (oui, je tente de remettre au goût du jour quelques expressions désuètes).
Et, alors que vous rentrez dans votre appartement (qui ressemble de plus en plus à une cave à rhum), encore un peu hébété, vous réalisez que ce n’est pas une mais bien deux bouteilles qui alourdissent votre musette. Ça vous revient, vous vous rappelez des mots de votre dealer de délices liquides : « Commencez par la rhum blanc ».
C’est parti ! Vous remplissez deux verres à dégustation de quelques centilitres de vos récents achats. L’un est translucide, comme prévu, l’autre, d’un cuivre soutenu, laisse penser qu’il a passé pas mal de temps en fût (mais, vous le savez, méfiez-vous des conclusions que vous pourriez tirer de la couleur d’un spiritueux).
Suivant les indications de votre pourvoyeur de flacons de qualité, vous mettez le nez dans le rhum blanc.
Vous être accueilli par une canne fraiche et presque crémeuse. Les agrumes accentuent la fraicheur et l’impression globale est légère.
Pas de doute sur la matière première employée, même si ce profil change de vos repères en termes de rhums blancs agricoles, souvent plus puissants et mordants.
C’est bien un rhum pur jus de canne. Issu d’une distillerie très récente – qui donne la part belle à l’agriculture et à la production durable – c’est sur la légèreté et la finesse qu’il développe son identité.
Les variétés de canne à sucre sélectionnées, le sont pour la qualité gustative plutôt que leur productivité. Le désherbage se fait à la main et aucun pesticide, ni engrais chimique n’est utilisé.
En revanche, il n’est pas évident, à la dégustation, de deviner l’alambic utilisé. Et pour cause, puisqu’il s’agit d’un assemblage de jus distillés sur colonne et sur pot still.
Cela peut sans doute expliquer la relative légèreté et la belle présence d’une canne tendre et fraiche.
Alors que vous appréciez votre dram (ce qui signifie quelque chose comme « petit verre »), il faut tout de même savoir que ce style n’est pas le plus représentatif du Bélize. Le suivant l’est bien plus.
Il était néanmoins intéressant de s’arrêter sur cet ovni, qui montre, une fois de plus, que les frontières entre les styles, ainsi les traditions de production de rhum évoluent et deviennent moins nettes et, du coup, moins faciles et simples à appréhender.
Il est justement temps d’enchainer par le second rhum, le vieux.
Absolument rien à voir avec le premier, le jour et la nuit. Pas de fraicheur de jus de canne ici, mais un spiritueux très marqué par la fût, à la gourmandise portée par le coco grillé, la vanille, le bois, le tabac et une pointe d’agrume.
La trame se fait assez simple mais n’en demeure pas moins très engageante. Attention cependant à la puissance de l’animal. En effet, suivant les conseils de votre caviste, vous avez acquis un rhum brut de fût.
Ce terme (cask strength en anglais) signifie que le liquide a été embouteillé tel quel à la sortie du fût, sans adjonction d’eau et donc sans diminution du niveau alcoolique.
Il faut savoir que l’immense majorité des spiritueux connaissent une phase de réduction alcoolique entre leur dépotage et leur mise en bouteille.
En effet, il n’est pas rare qu’un alcool soit aux alentours des 60 % d’alcool dans sa barrique, or vous ne verrez que très peu de bouteilles présentant un tel pourcentage.
Il faut noter que la mention « brut de fût » ne veut pas nécessairement dire que le degré sera très élevé, puisque le rhum peut connaitre une réduction progressive directement dans le fût, durant son élevage.
Mais revenons-en à nos montons béliziens.
Votre contact avec ce second spiritueux de canne, vous oriente sur un rhum industriel (de mélasse), sur lequel le bois aurait eu un grand rôle à jouer. Vous lui trouvez cependant une épaisseur, un corps, dont les rhums de la région sont souvent exempts.
Contrairement au rhum blanc dégusté précédemment, celui-ci est bien issu de mélasse.
Il est malheureusement bien compliqué de trouver des informations sur la fermentation, aussi ne peut-on que conjecturer qu’elle est assez courte, puisque nous ne trouvons pas les arômes qui accompagnent habituellement une longue fermentation.
Quant à la distillation, elle s’effectue sur une triple colonne en acier inoxydable. Et bien que le degré de coulage soit élevé, il l’est sans doute moins que dans mon nombre des distilleries des pays avoisinants, permettant l’obtention d’un distillat moins rectifié et moins neutre.
Selon les sources, on peut également lire que Travellers (puisque c’est la distillerie dont il s’agit) possède un alambic à repasse, ce qui constituerait une autre piste pour expliquer le profil final.
Quoi qu’il en soit, et comme vous l’avez senti, le vieillissement occupe le rôle central quant à la création de l’identité de ce rhum. Cette noix de coco grillée, qui est LE marqueur des rhums de Bélize, provient sans nul doute des ex-fûts de bourbon utilisés durant l’élevage.
Et quand ce fruit se révèle un peu moins tonitruant et se voit rejoint par les arômes secondaires décrits plus haut, alors on pourrait presque penser se trouver à la Barbade, tant ces rhums peuvent parfois être gustativement proches.
Dernier point qu’il faut mettre en lumière : alors que la distillerie possède sa propre gamme (dont les One-Barrel, Three-Barrel, Five Barrel et Don Omario), c’est au travers des embouteilleurs indépendants que nous connaissons Travellers en France.
C’est d’ailleurs pour cette raison que votre bouteille arborait un haut pourcentage alcoolique, comme c’est souvent le cas des flacons proposés par ces sélectionneurs de rhum.
À vous maintenant de partir à la découverte des rhums les plus anglais d’Amérique Centrale !