Rencontrer Eric Judor en vrai, c’est un peu comme aller au musée Grévin et que la statue de Michel Sardou s’y mette soudain à te parler. Et oui, rencontrer Eric, même sans Ramzy, c’est rencontrer un monument : celui de ces heures de poilades, bide saturé et lunettes embuées devant son inénarrable Aimée de H, un double, séducteur antillais pas si éloigné du vrai Eric. Et oui le Génie d’Aladdin et de la réalisation expérimentale, a un charme fou, avec sa face de moine bouddhiste. Souvent au bord du sourire, dans son œil malicieux, la petite flamme éternelle de la Grande Connerie n’attend qu’un signal pour embraser les alentours de grands éclats de rire. Eric est un Sage. Pas étonnant, alors, qu’il ait choisi pour notre rencontre, le restaurant cambodgien Heng Heng Rapide, une arche de bienveillance sous la direction magique de son patron le sus-cité rapide qui pratique un peu la magie à ses heures perdues. Mais nous sommes là pour parler de rhum et Eric n’est pas homme à prendre un sujet aussi sérieux à la rigolade.
Team RFP : Mais qu’est-ce qui vous a donc amené dans le rhum, Maître Judor ?
Eric : Mes origines autrichiennes m’ont naturellement ramenées à la Guadeloupe. Ne dit-on pas que les Antillais sont de grands séducteurs ? Mon père est guadeloupéen et il a pécho ma mère, qui est autrichienne, à Paris, alors qu’ils y étaient tous les deux étudiants. Pour des raisons qui n’échapperont pas aux plus clairvoyants de vos lecteurs, pour les vacances, nous allions plus souvent en Autriche qu’en Guadeloupe mais comme dans toutes les familles de militaires, nous avions droit à un voyage au pays de temps en temps. J’aurais donc pu aussi lancer un Schnaps, alcool largement méconnu à mes yeux.
Team RFP : Mais qui dit Guadeloupe dit rhum…
Eric : Mon amour pour le rhum m’est venu très tôt et par petites touches gustatives. Mon père est originaire de Grands Fonds Saint-Anne, dans le sud de Grande Terre. Quand on revient au pays, c’est toujours la tournée des tontons et des tatas, nombreux et nombreuses et bien évidemment, entre le dekolaj’ et l’atterrissage c’est pas les occasions qui manquent. Môme, je ne buvais pas directement de rhum mais mes souvenirs sont colorés par tout ce qui entoure le rituel du Ti-Punch, les odeurs, les couleurs, le sucre, le citron, les fruits. J’ai deux vraies madeleines de Proust : les fruits de la passion que m’offraient mes tantes et les glaces des mammas de la plage de Saint-Anne.
Team RFP : Ah oui ces fameuses mammas qui font de la glace pilée !
Eric : Oui, j’ai un souvenir très sensuel de ces petits stands de plage, où elles frottaient de la glace pour nous la servir, pilée, dans des gobelets en plastique avec un trait de sirop d’orgeat.
Quand la jeune société Cane est venue me voir pour me proposer une collaboration, j’ai accepté à la condition qu’on fasse un produit qui ait vraiment du sens. Ce n’est pas mon métier, à la base, mais je ne voulais pas qu’on crée un nième cocktail en bouteille. Pour ce premier « Jus d’or » on a travaillé à faire revivre mes souvenirs et on a fait beaucoup, beaucoup d’essais – dur métier – pour arriver à trouver le bon équilibre entre le maracuja (ndlr : une variété de fruits de la passion), le sirop d’orgeat et le rhum.
Team RFP : D’où viennent les ingrédients ?
Eric : La purée de fruits qui entre dans la composition vient de Guadeloupe et les rhums, sans entrer dans le détail, sont un assemblage de rhums de Basse Terre et de rhums de Marie-Galante. Pendant nos tests, pour se simplifier le travail et réduire notre impact carbone, on a testé des solutions en France pour sourcer la purée de fruits mais aucun des tests n’a été concluant. Je ne saurais dire d’où ça vient. Est-ce que les purées voyagent mal ? Je ne sais pas, mais c’est meilleur là-bas ! Je suis super content du résultat et l’accueil du public est fantastique. On a notamment pu le faire découvrir au festival Rhum & Food de la Guadeloupe et l’accueil a été très bon indépendamment de ma personnalité. J’en veux pour autre preuve que les amis à qui j’ai offert une bouteille reviennent me voir régulièrement pour un refill.
Team RFP : Quand est-ce que les métropolitains pourront découvrir le jus d’or en France ?
Eric : C’est un de nos enjeux en ce moment, surtout qu’on a reçu un accueil enthousiaste à Saint-Barth : une cave locale nous a acheté tout le premier batch de production. Nous sommes en train d’en reproduire pour avoir de quoi participer au Rhum Fest Paris, rencontrer un plus large public et y chercher un distributeur métropolitain.
Team RFP : Quel est l’avenir de Jus d’Or, que certains prennent pour une blague de plus, avec cette étiquette qui reproduit la forme de votre crâne ?
Eric : On avance au jour le jour mais si on me demande mon avis pour la suite, j’aimerais que l’on décline d’autres recettes mais toujours en rapport avec mes souvenirs d’enfance ou de voyage au pays parce que je le répète, cette aventure ne m’intéresse que si on lui trouve un vrai sens.