Team RFP : Pouvez-vous nous rappeler votre parcours pour ceux qui ne vous connaissent pas encore ?
Daniel : Je suis avant tout un passionné de rhum. Je travaille depuis 1991 pour Trois Rivières et Maison La Mauny. Avec mes équipes, je réalise les assemblages et supervise le vieillissement des grandes Trois Rivières depuis plus de 30 ans. Ma formation a débuté par une première distillerie en tant que responsable des stocks et des assemblages puis s’est poursuivie au Centre Technique de la Canne et du Sucre de la Martinique. J’ai ensuite intégré Trois Rivières en 1991 au poste de Maître de Chai nouvellement créé pour élaborer les distillations, l’assemblage des lots, en vieillissement et son suivi
Team RFP : Comment se passe concrètement la journée d’un Maître de Chai ?
Daniel : Le métier de maître de chai est avant tout un métier de passionné. Il veille au quotidien sur les rhums de son chai. Son travail a plusieurs facettes : de la sélection des levures pour la fermentation, à l’élaboration et la réduction des rhums blancs jusqu’au travail sur les ambrés, j’interviens à chaque étape. Et tout particulièrement en bout de chaîne, sur l’assemblage des différents rhums et le choix des maturations dans les fûts de chêne. Cela passe par l’origine des fûts, le travail de chauffe avec les tonneliers, le choix d’un fût neuf ou d’un fût roux, avec gros grains ou petits grains, et enfin l’emplacement du stockage des fûts au sein du chai (en haut ou en bas du rack). Toutes ces composantes définissent le profil souhaité du rhum.
Concrètement, la journée débute par des échanges avec les équipes sur les actualités du chai, les mouvements de la cuverie et l’organisation des mises en bouteille du jour. Ainsi je dois m’assurer du bon fonctionnement de la chaîne et faire des contrôles sur celle-ci (cadence, visuel, respect de l’étiquetage, vérification du volume et du degré des bouteilles plusieurs fois dans la journée, faire des dégustations des fabrications embouteillées), saisir les données de fabrication et déguster les vieillissements.
Et pendant la campagne de distillation de février à juin, il faut intégrer le suivi des étapes de la distillerie pour faire des contrôles, réceptionner les distillats, les déguster, les orienter selon les profils organoleptiques, et saisir les données des rhums réceptionnés. Tout cela est fait en échange constant avec mes équipes.
Team RFP : Pour le vieillissement, êtes-vous « libre » sur le choix des fûts, avez-vous une marge de manœuvre pour tester de nouveaux fûts ?
Daniel : Nos rhums vieux bénéficient d’un vieillissement tropical, dans la douce quiétude de nos chais, en fûts de chêne, tel que l’impose l’AOC. Nous utilisons des fûts de plusieurs origines. Mon travail est justement de les sélectionner en fonction du profil du rhum souhaité. Pour les fûts neufs, nous employons du chêne français du Limousin (plutôt autour de 400L). Plus rarement, nous pouvons utiliser du chêne américain neuf. Nous travaillons nos propres fûts, confectionnés avec des lattes de chêne qui ont vieilli de nombreux mois sous la pluie, le vent, le froid et le soleil. Le bois se couvre d’une patine et apporte bien plus d’élégance et de subtilité aux rhums.
Nous travaillons également plusieurs types de chauffe, propres à la marque, avec des tonneliers. Une légère chauffe apporte de la douceur tandis que des chauffes plus marquées développent plutôt le côté boisé du produit. La taille des fûts doit également être adaptée à la durée du vieillissement. Le finish reste une finition, c’est-à-dire qu’il ne doit pas excéder quelques mois. C’est un apport sur lequel on joue, qui ne concerne qu’une partie de l’assemblage.
Team RFP : Pouvez-vous nous définir l’identité des Rhums Trois Rivières ?
Daniel : Les champs de cannes de Trois Rivières se trouvent à l’extrême sud de la Martinique, sous un climat sec et aride, bordé par la mer des Caraïbes. Dans l’ensemble, les cannes poussent dans des sols argileux, rocailleux et riches en magnésium. Elles tirent de ce terroir leur profil organoleptique : un taux de sucre élevé et des notes aromatiques uniques, qui confèrent aux rhums Trois Rivières un profil à la fois complexe, minéral, puissant et structuré.
Outre son terroir, sa colonne de distillation créole, dite à flux continu, permet de conduire une distillation lente et délicate et donne ainsi au distillat une grande finesse et une belle intensité !
Team RFP : Vous avez été élu meilleur maître de chais du monde en 2019, quel sentiment cela a provoqué chez vous ?
Daniel : Cette distinction est avant tout une reconnaissance du travail mené avec les équipes Trois Rivières. Nous travaillons chaque jour avec passion, afin de tirer le meilleur de notre terroir du sud de la Martinique, de notre savoir-faire unique et réputé tout en étant intransigeants sur la qualité de nos rhums. Notre meilleure récompense est de constater que notre consommateur reste fidèle à nos rhums
Team RFP : Pouvez-vous nous présenter les nouveautés Trois Rivières présentes au Rhum Fest Paris ? (Triple Millésime et XO)
Daniel : Ces deux nouveautés ont en commun de montrer le savoir-faire de Trois Rivières sur le vieillissement !
Une nouvelle édition de l’iconique Triple Millésime est sur le point d’être dévoilée. Le Triple Millésime est l’une des pierres angulaires de notre gamme. Cette sixième et dernière édition de ce rhum vieux très rare est issue de l’assemblage de trois nouveaux grands millésimes d’exception : les 2006, 2014 et 2016. Le millésime 2016, issu de fûts ex-Bourbon apporte de la fraîcheur, mêlé à la complexité aromatique rare du millésime 2014, assemblage égal de fûts Ex-Bourbon et fûts ex-Cognac. Le tout associé à la juste rondeur et l’aimable profondeur du millésime 2006, maintes fois primés, vieilli en fût français dont environ 30% de neuf et des ex-Cognac. Ce Triple Millésime 2006-2014-2016 incarne parfaitement l’identité des rhums Trois Rivières, au profil frais et épicé.
La seconde nouveauté de cette année est une innovation pour la maison : un rhum hors d’âge X.O, composé de rhums vieillis au minimum 6 ans. Les rhums de cet assemblage ont été élevés à 100% en fûts de chêne français dont initialement 30% de fût neufs et le reste en fûts roux ex-Cognac. Il est l’expression à la fois suave et tout en puissance de notre terroir du sud de la Martinique et de notre savoir-faire unique dans l’art du vieillissement. D’une exceptionnelle persistance gustative, il révèle toute sa puissance et sa complexité
Team RFP : Après plus de 30 ans de métier, votre passion pour ce métier est-elle restée intacte ?
Daniel : Bien sûr. Si un Maître de Chai n’est pas passionné, il ne peut développer son art. Il s’occupe de l’achat des fûts, de la sélection de la chauffe, de la zone d’entreposage (en haut ou en bas du chai) et de bien d’autres choses pour chacun des produits sous sa responsabilité. La passion fait partie intégrante de notre métier, et dans le chai, j’ai une ardoise que j’ai accrochée au mur avec un manifeste simple qui me rappelle tous les jours que mon travail de Maître de Chai se base sur la passion, la patience et le partage.
Team RFP : Quelle cuvée (ou millésime) vous a marqué et pourquoi ?
Daniel : Je citerais non pas un rhum, mais une trilogie dont je suis très fier : la trilogie Oman, Saint Pierre et Bois d’Inde qui rend hommage à nos trois rivières qui coulent sur notre domaine à Sainte Luce et dont nous tenons notre nom. C’était un vrai challenge de créer 3 grands rhums vieux d’assemblages AOC, à la fois aux profils très différents, mais tous identitaires à Trois Rivières.
Team RFP :Parlons maintenant Rhum Agricole, comment voyez-vous son développement à l’échelle mondiale ?
Daniel : En tant que produit artisanal (100 % de pur jus de canne et non de mélasse), le rhum agricole est limité à une récolte par an. Cette matière première ne peut pas voyager et doit donc être produite en Martinique. L’AOC rhum de la Martinique exige une production et un vieillissement exclusifs sur place, et il faut au moins 3 ans de vieillissement en fûts de chêne pour pouvoir utiliser l’appellation « rhum vieux », qui ne s’applique pas à d’autres types de rhums. Cela rend l’Agricole plus rare (3 % de la production et de la consommation de rhums dans le monde), mais fortement renommé pour ses arômes intenses et complexes, qu’il s’agisse de rhums blancs ou de rhums vieux. Ce profil aromatique distinctif, riche et puissant, signifie que le produit séduit les consommateurs initiés, les amateurs de spiritueux et les barmen, offrant une expérience de consommation unique lorsqu’il est consommé pur et une profondeur aromatique lorsqu’il est utilisé dans un cocktail. Les rhums agricoles enrichissent la catégorie avec une offre qui révèle réellement les saveurs de la canne à sucre.
Les amateurs de spiritueux et de cocktails constituent sans aucun doute un public potentiel pour les rhums agricoles, avec la possibilité d’attirer de nouveaux consommateurs sur les marchés de lancement, à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, le Benelux et la Suisse. Pour susciter l’intérêt d’un plus grand nombre de consommateurs, nous devons continuer à faire connaître les rhums agricoles et ce qu’ils ont à offrir – nous sommes confiants dans les atouts du produit. Les rhums agricoles ont souvent été comparés au mezcal ou même aux malts tourbés – des spiritueux de qualité pour connaisseurs, reconnus et respectés dans le monde entier.
Team RFP : Avez-vous (déjà) des futurs projets en cours ?
Daniel : On continue de développer notre gamme de rhums vieux Trois Rivières. Nos projets à venir seront principalement concentrés sur des cuvées prestigieuses qui mettent en avant l’expression de nos plus grands et rares millésimes qui sont au sein de notre chai. On souhaite surtout mettre en avant la qualité de notre travail de sélection et d’assemblage de millésimes. Chaque millésime représente la richesse de nos rhums vieux de caractère incarnant à la fois notre terroir du sud de la Martinique et notre savoir-faire historique sur l’art de vieillissement et assemblage.