Team RFP : Bonjour Alexandre Gabriel – ou devrait-on plutôt dire Capitaine. Dans la lignée de vos idées originales (et un peu folles) pour la Maison Ferrand, vous avez récemment développé un chai de vieillissement flottant. Comment en êtes-vous arrivé à l’idée de La Barge 166 ? Qu’y faites-vous vieillir ?
Alexandre : L’expérience que nous proposons sur la Barge 166 vient en fait de la conjugaison de trois éléments clés et structurant pour nous : aller travailler dans des chais extrêmement humides, dans la tradition des early landed anglais, analyser l’impact du vieillissement dynamique sur nos spiritueux (vous savez ce vieillissement qui se fait en mouvement dans la plus pure tradition des fûts qui voyageaient en bateau pendant des semaines et des semaines entre les caraïbes et l’Europe) et de revisiter les techniques de vieillissement en petits fûts avec cette micro-oxygénation extrême.
Ces trois angles de recherche entrent dans une étude pour le livre que j’écris sur les techniques du maître de chai. C’est une recherche technique et un projet totalement expérimental, et nous avons voulu profiter de cela pour embarquer tous nos fans et leur dire : voilà, vous allez pouvoir faire partie de cette aventure gustative et technique ! C’est ça, la péniche, venez passer derrière le rideau et venez partager avec nous ce travail de recherche car nous pensons chez Ferrand que le savoir est plaisir.
La péniche se trouve donc aux portes de Paris devant l’Ile Saint-Germain. Nous avons complètement restauré une ancienne péniche Freycinet de 1948 en chai flottant, définition même du vieillissement dynamique en milieu humide. Cela permet de rendre complètement accessible aux amateurs de rhums, l’expérience d’accompagner eux-mêmes la maturation et l’évolution de leurs rhums ou cognacs. Nous proposons une sélection de 10 rhums Planteray et de 6 cognacs Ferrand à bord. Cette sélection est totalement exclusive !
Team RFP : Comment se déroule l’expérience, depuis la sélection du fût et du jus jusqu’à l’embouteillage ?
Alexandre : Pour le moment, nous avons à bord des fûts de 30 litres en chêne français du Limousin fabriqués dans la région de Cognac. Mais, vous me connaissez, nous ne sommes pas à l’abri de proposer prochainement des fûts d’essences de bois différentes ! Ce sont des fûts neufs que nous avinons au préalable. Nous proposons plusieurs chauffes de bois suivant le profil aromatique recherché. Cette contenance permet une belle interaction entre le spiritueux et l’atmosphère humide du chai. Le nombre de bouteilles va dépendre du temps de vieillissement bien sûr, mais en moyenne, nous obtenons environ 55 bouteilles de 50cl à l’issue du processus de maturation sur la barge.
Nous avons aussi créé (et breveté !) une structure métallique inédite, adaptée à la cale de la péniche, permettant d’accueillir au mieux ces petits fûts afin d’optimiser au maximum les emplacements mais surtout l’accès aux petits fûts afin de pouvoir contrôler leur évolution très régulièrement. Nous pouvons ainsi faire vieillir 1440 fûts à bord de la péniche.
Nous proposons 6 expressions de Cognac Ferrand, tous 1er cru de Cognac, Grande Champagne bien sûr. Nous proposons des assemblages car c’est mon métier depuis plus de 30 ans maintenant mais également des cognacs millésimés ! Ainsi qu’une dizaine de rhums Planteray, afin de laisser à chacun la possibilité de choisir le rhum qui lui convient le mieux. Comme vous le savez, l’ADN de Planteray est de représenter les différents terroirs du rhum, donc nous offrons des rhums de la Barbade, berceau du rhum et de notre distillerie, Stade’s West Indies Rum Distillery, mais également des rhums jamaïcains, provenant de nos deux distilleries Clarendon et Long Pond, ainsi que des rhums de Fidji avec qui nous avons un partenariat exclusif, de Trinidad, etc. Et ce n’est que le début… (sourire)
Team RFP : Vos jus sont-ils déjà préalablement vieillis ?
Alexandre : Effectivement, nos rhums et cognacs sont vieillis plusieurs années avant d’être enfûtés pour la Barge. Comme vous le savez, tous nos rhums Planteray bénéficient d’un double vieillissement, une vieille tradition du rhum : d’abord dans leur pays d’origine, très souvent dans des fûts de chêne américain ayant contenu du bourbon, dans un climat tropical, puis en France dans nos fûts Ferrand, en chêne français, sous un climat continental. Cette maturation sur la Barge est donc la troisième phase de vieillissement de nos rhums.
Team RFP : Combien de temps dure l’expérience ?
Alexandre : Eh bien, c’est à chaque propriétaire de fût de décider ! Cependant, c’est mon métier et celui de l’équipe de les accompagner dans cette période de vieillissement. Si on laisse un cognac ou un rhum trop longtemps dans un petit fût, surtout dans des conditions extrêmes de variation de température et d’humidité comme sur la barge, le profil organoleptique pourrait être trop boisé, ou bien il ne restera plus rien dans le fût ! Il faut surveiller ces petits fûts, les déguster régulièrement. Nous conseillons un vieillissement d’un an, voire deux maximum.
Les portes sont toujours ouvertes aux passionnés comme nous de spiritueux, les Private Cask Owners peuvent donc venir quand ils le souhaitent ! Mais je dirais qu’en moyenne les propriétaires viennent sur la barge 2 à 3 fois par an. Ils viennent souvent entre amis ou en famille afin de découvrir la barge, déguster leur fût et passer un moment convivial à bord. Et lorsque ce n’est pas possible pour eux de venir, nous pouvons leur envoyer des échantillons afin qu’ils voient l’évolution de leur rhum ou de leur cognac.
Team RFP : Que deviennent les fûts une fois l’expérience finie ?
Alexandre : Une fois le spiritueux embouteillé, le fût sera réutilisé pour un autre vieillissement. Beaucoup de propriétaires de fût nous demandent de garder leur fût et de le remplir avec un autre spiritueux. Nous pourrons ainsi proposer des maturations en fût d’ex rhum ou ex cognac. Et là, les possibilités sont infinies, nous allons pouvoir nous amuser !
Team RFP : A qui s’adresse l’expérience de La Barge 166 ?
Alexandre : À tout ceux passionnés de spiritueux et curieux de découvertes ! Nos publics sont très variés : des amateurs passionnés de bons spiritueux, des managers d’entreprises qui partagent l’expérience du vieillissement avec leurs meilleurs partenaires, ainsi que des cavistes qui invitent leurs clients à découvrir ce concept qu’ils ont eux-mêmes adopté. Vous l’aurez compris, notre clientèle est très diversifiée, et d’ailleurs beaucoup de visiteurs sont étrangers.
Team RFP : Avez-vous ou envisagez-vous de lancer et commercialiser une gamme de produits vieillis dans ce chai ?
Alexandre : Pour le moment non, mais vous me connaissez… !
Team RFP : On a entendu dire que l’expérience allait être déclinée. Jusqu’où irez-vous ?
Alexandre : Bien sûr ! Actuellement, nous ouvrons nos portes au vieillissement en petits fûts au Château de Bonbonnet, dans notre nouveau chai Satgé. Ce chai très spécifique est un chai de prestige où se trouvent toutes nos plus belles pépites en vieillissement. Satgé pour Luc, qui a travaillé à mes côtés pendant plus d’une décennie en tant qu’assistant maître de chai, est qui est parti à la retraite l’an dernier. J’ai donné son nom à ce chai de prestige !
L’un de nos objectifs est de comparer l’évolution du vieillissement en petit fût dans un chai aux conditions totalement différentes de celles de la péniche, et d’offrir une toute autre expérience à nos propriétaires de fûts !
Nous avons également un projet à la Barbade comme vous pouvez l’imaginer ! Une péniche sur la mer des Caraïbes, c’est un peu compliqué en raison de l’agressivité du sel, du coût du projet, etc. Finalement, nos propriétaires de fûts nous ont demandé d’étudier la possibilité de faire une déclinaison en conditions d’humidité extrême ! À la Stade’s West Indies Rum Distillery, nous disposons d’un petit chai datant du 19e siècle appelé « The Bakery » et situé sur la plage. Son toit avait été emporté par un ouragan. Nous envisageons de reconstruire le toit et d’y placer quelques fûts exclusifs pour les privilégiés qui auront choisi des fûts sur la péniche, et de leur permettre, s’ils le souhaitent, d’avoir accès à « The Bakery ». Ce chai est ainsi nommé en raison de son environnement intense, caractérisé par l’effet du soleil, de la plage, du sable et de l’extrême humidité de la mer située à quelques mètres. Dans le passé, ce chai était appelé « The Bakery » car on y mettait des fûts qui étaient « baked » (cuits).
Le plaisir vient avec le partage des connaissances, et nous aimons partager avec nos fans les éléments techniques qui leur permettent d’accéder à encore plus de plaisir. Nous les embarquons avec nous non seulement sur la péniche, mais aussi vers cette expérience à Cognac et cette expérience extrême à la Barbade.